Que ne ferait-on pas pour sauver sa mère ? J'ai failli perdre la mienne il n'y a pas si longtemps et je sais que je ferais tout pour elle. Alors si une peluche prenait vie pour me dire qu'il y a encore un espoir, quitte à plonger dans un monde parallèle et affronter des monstres mignons et des méchantes sorcières, je le ferais sans hésiter. A toute quête il faut un drame originel, et le pauvre Oliver perd sa Maman dès le début du jeu. Un prétexte idéal pour un RPG classique dans un monde féérique inhabituel.
Ce test est une republication du test originalement paru le 09 décembre 2011.
Tout sur ma mère
Si les êtres humains existent sur les deux continuums, la mère d'Oliver est peut-être encore quelque part, dans ce monde idyllique. Cet univers, où il y a quand même des méchants et des gentils, a été imaginé par le célèbre studio Ghibli, plus connu pour les chefs d'œuvres de Miyazaki tels que Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoke et tant d'autres. L'histoire de ce garçon qui nous change des traditionnels récits initiatiques de "la jeune fille qui découvre que c'est compliqué de grandir" est en adéquation avec l'esprit de Ghibli. Il n'est pas question de vengeance, de villages brûlés par des démons ou de guerre, juste la douleur d'Oliver, un petit garçon. On ne peut qu'être sensible à ce changement dans l'équilibre cosmique des clichés. Dans la vraie vie, à la fin, on sera finalement tous des orphelins.
Miyazaki-Miyamoto, le dernier combat
Le studio Ghibli vit d'ailleurs un moment particulier où une nouvelle génération d'artistes va devoir prendre la relève après le départ inéluctable de Hayao Miyazaki. Même son fils, dont le prochain film sort en janvier en France, participe à cet effort de modernisation. Pour un studio aussi prestigieux qui n'a jamais participé à un jeu vidéo, cette implication totale n'est pas une décision badine. Evoluer ou disparaitre, c'est aussi l'un des enjeux de Ninokuni. Mais Ninokuni, qui nous arrive aujourd'hui sur PS3, cultive un peu l'ambiguïté. Rien ne précise vraiment qu'il s'agit en fait d'un portage HD remanié de la version DS, sortie un an plus tôt. Est-ce l'une des raisons qui en font déjà un échec commercial ? Pire qu'un iPhone qui ne capte pas ou un PSN qui ne se connecte plus, Level-5 est une société qui vit un terrible retour de flamme, ce que les néologistes 2.0 appellent aussi de "l'anti-buzz". Car ils n'ont plus que les formidables ventes de Layton en Europe pour se consoler, les pauvres : leur dernière grosse franchise Danball Senki n'a pas aussi bien marché que prévu et on ignore si Inazuma Eleven tiendra le choc après un passage à la 3DS. Même la dernière série Gundam, conçue de toute pièce par Level-5, est en train de vivre un flop assez humiliant. Que s'est-il passé pour que l'éditeur responsable de Dragon Quest VIII et IX traverse une tempête pareille ? Ninokuni, le multi-projet le plus ambitieux du nouveau marchand de rêve va nous apporter quelques réponses.
"Touchez pas au Ghibli"
Noël 2010, il reste des palettes entières de Ninokuni sur DS, surproduit, sur-édité, il a fallu une baisse de prix drastique pour qu'il dépasse 600,000 pièces écoulées. Vu les circonstances, ce n'est pas un très bon score pour l'entrée en fanfare du studio Ghibli dans le monde du jeu vidéo. Les analystes s'en sont donnés à cœur-joie : système de combat trop mou qui finissait généralement par décourager les joueurs au trois quart du jeu, comme si Level-5 n'arrivait plus à choper à nouveau la vista de Dragon Quest, mauvais casting que la DS pour un RPG grand spectacle, absurdité d'un grimoire trop lourd pour le cartable des écoliers mais nécessaire pour progresser... la version PS3 se devait de remettre les pendules à l'heure.
Fin 2011. Toute la puissance de la PS3 est dans les startings blocks, les HDMI chauffent d'impatience d'envoyer de la rêverie Ghibli jusqu'aux écrans HD. Patatra, encore un gadin, le mois d'avant Noël. Encore pire et encore plus cruel. Car Ninokuni n'a jamais été aussi beau. Quand on parle de Level-5 comme de la nouvelle machine à rêve, ce n'est pas usurpé. Ce cel-shading, cette direction artistique, c'est un des univers graphiques les plus cohérents aperçus depuis longtemps dans un RPG, aucun chargement, les forêts enchantés fourmillent de vie, les marais inquiétants le sont vraiment. Ghibli vit. Et puis la carte de jeu est si belle qu'elle nous fait regretter tous ces jeux (coucou Final Fantasy XIII) qui la snobent pour ne proposer qu'un tunnel narratif. En plus, les gars de Level-5 sont des brutes dès qu'il s'agit de confort de jeu : pas de chargement, des menus relativement clairs. C'est simple : passer du jeu DS à la version PS3 revient à redécouvrir Mononoke Hime sur grand écran après se l'être tapé sur iPhone. Une véritable transfiguration.
Tales of Kuni
Les combats ont complètement été réinventés. Reprenant le système "Imagen" (des monstres qui vont se faire enrôler), Ninokuni PS3 bascule dans le temps réel. Il n'y a quasiment plus de temps morts, dans une aire de jeu où l'on se déplace librement comme dans les récents Tales of. Il faudra alors établir un bon équilibre entre les bestioles, un peu comme dans Pokémon, histoire d'avoir toujours une force élémentaire sous la main pour allumer les boss, devenus étonnamment plus durs. Evidemment, les autres personnages seront gérés par une I.A un peu délicate dont on espère toujours qu'elle ne balancera pas une comète pour allumer le peu de vie qu'il reste à un lapin ennemi. Ajoutons aussi que les musiques des combats, si horripilantes malgré toutes les bonnes intentions de Joe Hisaishi, ont été redynamisées. Repensés tels qu'ils sont, les combats ont suffisamment la patate pour donner envie de continuer l'aventure, en tout cas c'est nettement mieux que sur DS. Mais il s'agit quand même d'un travail sans génie ni même le savoir-faire méthodique propre aux Tales of, un vrai travail de "yesman" du RPG.
Oliver Same Twist
Enfin, il y a l'aventure en elle-même. Elle suit quasiment à la virgule près le jeu DS... Jusqu'à un certain point. On découvrira quelques nouveaux villages, des personnages importants en plus, de vraies modifications qui ne se feront sentir qu'au bout d'un certain temps de jeu. On se surprend à repenser à des moments clefs... "Ai-je déjà vu cette scène ou pas ?" devient un reflexe devant les superbes dessins animés sur un bel écran HD. Blindé de quêtes à la DQIX et de petites choses à faire en plus, la version PS3 a la durée de vie aussi calibrée que son déroulement. Mais le plus gros défaut de Level-5 dans cette histoire, c'est de ne pas avoir mieux pensé son gimmick du fameux bouquin de magie, dont les invendus sont parfois offerts à nouveau avec cette version PS3. Ici, ce grimoire magnifiquement relié ne sert strictement à rien, à tel point que ses pages se débloquent au fur et à mesure dans le jeu lui-même, au détour d'un menu, mais moins pratiques à lire que sur un iPad. Dans ce même menu, on trouvera les magies qui ne nécessitent plus, non plus, de gribouiller l'écran. Et pourtant, la plupart des "énigmes" (un mot un peu fort pour un jeu extrêmement guidé) restent les mêmes, jusqu'au mot de passe à donner pour réveiller un démon. Conceptuellement, Level-5 a été assez paresseux sur ce coup-là, car même dans sa version la plus somptueuse, Ninokuni laisse planer un parfum d'imperfection.
Entre la version DS et PS3 d'un jeu terriblement similaire, il y a forcément une proposition de trop. Ce jeu parfait, il aurait pu être sur Wii U, en réutilisant intelligemment les idées de gameplay du jeu portable et la beauté du monde Ghibli portée en HD. Sans jamais égaler ses pairs tels que Mother ou Dragon Quest, Ninokuni est une belle machine à rêve assez unique qui, dans ses trop rares moments de vérité, arrive parfois à capter l'efficacité nécessaire à ce type de JRPG old school. Paralysé par la pression, pas toujours à la hauteur des vertiges auxquels il essaye de prétendre, le jeu n'en est que plus fragile et touchant à la fois.